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Michel de Rosen (Forvia) : “Ce qui prime aujourd’hui, ce n’est plus la qualité de vos plans, c’est votre agilité”

ByPaul Moret

Déc 3, 2025

Michel de Rosen, le président du conseil d’administration de Forvia était l’invité de Plus Europa le 25 novembre dernier. Son témoignage sur les bouleversements géopolitiques qui frappent l’industrie automobile européenne mérite qu’on s’y arrête.

Pour les dirigeants d’entreprise, la géopolitique était longtemps restée une affaire de diplomates et d’éditorialistes. Ce temps est révolu. Michel de Rosen, qui préside le conseil d’administration de Forvia (ex-Faurecia), septième équipementier automobile mondial, en a livré une démonstration implacable lors d’un petit-déjeuner organisé par l’association Plus Europa.

Nexperia : quand un semi-conducteur fait trembler l’Europe

L’exemple est édifiant. Nexperia, entreprise hollandaise rachetée par un groupe chinois, fabrique des semi-conducteurs peu sophistiqués mais indispensables à l’industrie automobile. Sous pression de Washington, le gouvernement néerlandais décide de nationaliser l’entreprise et d’évincer sa direction chinoise. Réplique immédiate de Pékin : embargo sur les exportations.

“Pour beaucoup d’entreprises comme la mienne, c’était une catastrophe potentielle”, raconte Michel de Rosen. “Nous avions des stocks, mais nous savions que quand ils seraient épuisés, il faudrait arrêter un paquet d’usines en Europe.” Des centaines de milliers d’emplois étaient en jeu. Dénouement : les Pays-Bas ont finalement cédé et dénationalisé l’entreprise. La géopolitique avait parlé.

Mexique : l’épée de Damoclès du USMCA

Autre front, autre incertitude. Forvia emploie 21 000 personnes au Mexique — premier employeur français du pays. L’accord commercial USMCA (États-Unis, Mexique, Canada) permet aujourd’hui aux équipementiers de produire au Mexique, où les salaires sont cinq fois inférieurs à ceux des États-Unis, puis d’exporter sans droits de douane vers le marché américain, à condition que 75% de la valeur ajoutée soit réalisée dans la zone.

Cet accord doit être renouvelé en juin 2026. Que décidera Trump ? “La logique économique plaide pour le renouvellement”, analyse Michel de Rosen. “Si les usines devaient migrer du Mexique vers les États-Unis, le prix des voitures américaines doublerait.” Mais dans un monde où le président américain décide selon des logiques parfois étrangères à l’économie, rien n’est acquis. L’industrie automobile retient son souffle.

Trois stratégies pour survivre

Face à cette nouvelle donne, quelles armes restent aux entreprises européennes ? Michel de Rosen en identifie trois.

D’abord, convaincre les gouvernements. L’industrie automobile plaide pour une stratégie européenne de “contenu local”, inspirée du modèle nord-américain : obliger les constructeurs étrangers, notamment chinois, à fabriquer sur le sol européen avec des équipementiers européens.

Ensuite, diversifier. Ne plus dépendre d’un seul fournisseur, d’un seul pays, d’une seule route logistique. Multiplier les options pour pouvoir pivoter rapidement.

Enfin, se rendre indispensable. “Si vous êtes un fournisseur unique d’un produit dont vos clients ont absolument besoin, vous aurez des clients quelle que soit la géopolitique”, résume le dirigeant. L’innovation reste le meilleur bouclier.

La fin des plans à dix ans

Mais au-delà des stratégies, c’est une philosophie du management qui doit évoluer. “Il n’y a pas si longtemps, on bâtissait des plans sur cinq, dix, quinze ans”, rappelle Michel de Rosen. “Aujourd’hui, ce qui prime, ce n’est plus la qualité de vos plans, c’est la qualité de votre agilité. Votre capacité à bondir, à changer d’avis, à être flexible.”

Un aveu d’impuissance ? Plutôt un constat de lucidité. Dans l’automobile comme ailleurs, l’ère des certitudes est close. Reste à apprendre à naviguer dans le brouillard — ensemble, si possible.

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